RICHARD-CAVARO

Lucrezia suppliant le doge de Venise Francesco Foscari

Desdémone maudite par son père - Delacroix

RICHARD-CAVARO (1819, Vernon – 1890, Paris), Charles-Adolphe RICHARD dit
Lucrezia suppliant le doge de Venise Francesco Foscari d’intercéder en faveur de son mari
Huile sur toile marouflée sur panneau
38 x 29 cm
Signée et datée en bas à gauche
1860
Provenance: vente du mardi 11 avril 1861, Drouot, salle 2 (Maître Fournel), N°11 du catalogue, titré La demande en grâce (jeune femme vénitienne suppliant un membre du conseil des 10).


Charles-Adolphe Richard entra à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts en 1839 pour y étudier sous la direction de Léon Cogniet et d’Ingres. Il exposa régulièrement au Salon de 1844 à 1880, avec une absence entre 1850 et 1858, en raison d’un séjour italien à Venise.
Présentant jusqu’alors des portraits et des sujets vaguement mythologiques, sa première consécration officielle intervient en 1849 avec une commande de l’Etat (par l’intermédiaire du ministre de l’Intérieur Ledru-Rollin) pour son tableau Les exilés (1,30 x 1,71 m), aujourd’hui conservé au musée des Beaux-Arts de Besançon.
Son séjour en Italie lui donna l’occasion de réaliser des copies des grands maîtres de la Renaissance, et déclencha une véritable passion pour l’histoire de la République de Venise. Il décida même de modifier officiellement son nom en Richard-Cavaro (on peut supputer que le CA provient des initiales de ses prénoms, V pour Venise, AR pour les lettres composant son patronyme, et O pour italianiser le tout; il indiqua aussi comme ville de sa naissance Vérone, encore une « italianisation » de Vernon), et c’est ainsi qu’il est mentionné au Salon de 1859, où, domicilié 54, rue de Grenelle à Paris (tout comme en 1860), il n’exposa pas moins de 5 oeuvres, dont Le Sénat de Venise.
Richard-Cavaro obtient des médailles aux Salons de Paris de 1862 et 1866, mais il expose aussi à des salons provinciaux, comme Versailles (1865), Troyes, Amiens (médaille de vermeil en 1862), Marseille, Saint-Etienne, Toulouse (1864), Carcassonne, Le Havre (1869) ou même Porto (mention honorable en 1866) au Portugal. Il fut professeur de dessin au lycée Louis le Grand, au couvent de l’Annonciation de Passy et à l’Ecole des Arts Décoratifs.
Si la critique lui reconnait des qualités de coloriste et un bon rendu des effets, elle évoque aussi un dessin parfois un peu lâché. La revue « Les Beaux-Arts » s’exprime ainsi à propos des deux tableaux exposés au Salon de 1861: « Deux agréables toiles de Richard-Cavaro, également remarquables par la grâce et la noblesse des figures, la puissance de la couleur et la préciosité du pinceau.« 
Parallèlement à son activité de peintre, c’est aussi un grand collectionneur de tissus et vêtements anciens, et il publie des livres sur l’histoire du costume et des tissus, comme « Les costumes des peuples anciens » en 1887. L’homme était connu pour son érudition et sa modestie.

Notre tableau illustre le grand intérêt de Richard-Cavaro pour les thématiques vénitiennes dans lesquelles il puise ses sujets. Il représente un épisode la scène IV du premier acte de l’opéra « Les deux Foscari » (« I due Foscari ») créé par Verdi en 1844, qui s’inspirait lui-même du drame de Lord Byron, « The two Foscari » créé en 1821. L’intrigue se base sur des faits historiques survenus à l’époque de Francesco Foscari, qui fut doge de Venise de 1423 à 1457. Le fils de celui-ci, Jacopo, est accusé injustement de meurtre et de trahison envers la République, et est condamné à l’exil perpétuel. Sa femme, Lucrezia Contarini, retrouve son beau-père le doge dans ses appartements, et l’implore d’accorder la grâce à Jacopo; mais le doge, à la fois représentant de la législation vénitienne et père de Jacopo, ne peut que lui avouer son impuissance à pouvoir sauver Jacopo. Après la mort de son fils, il est contraint d’abdiquer et meurt rapidement.
Nous remercions Gilles Soubigou de nous avoir signalé, concernant l’organisation de la composition du tableau, la peinture (61 x 50 cm) d’Eugène Delacroix, Desdémone maudite par son père, réalisée en 1852 et conservée au musée des Beaux-Arts de Reims; la thématique est également vénitienne, en rapport avec « Othello », sans que la scène proprement dite existe dans la pièce de Shakespeare. Il est possible que Richard-Cavaro s’en soit inspiré pour construire son tableau, au cadrage toutefois plus resserré: fond sombre accentuant le contraste avec les vêtements, ouverture vers la droite, attitude des personnages.

Le thème des Foscari avait été traité par un certain nombre d’artistes depuis l’opéra de Verdi. Francesco Hayez lui consacra ainsi plusieurs tableaux; Delacroix obtint un grand succès avec sa version de 1855 (0,93 x 1,32 m), représentant le procès de Jacopo, conservée au château de Chantilly; on peut aussi citer le tableau de Louis Duveau (1818-1867), L’Abdication du doge Foscari (3,25 x 2,50 m), exposé au Salon de 1850 et conservé au musée des Augustins de Toulouse, le tableau d’Alexandre Hesse (1806-1879) Les deux Foscari (représentant les adieux de Jacopo à sa femme et ses enfants), exposé au Salon de 1853, ou encore une toile de Léon Goupil (1834-1890) exposée au Salon de 1859.
Le thème connut même un regain d’intérêt dans les années 1870, avec une nouvelle version de Delacroix (Salon de 1873), un tableau de Léonce Cordier (Salon de 1875).
Quant à Richard-Cavaro, il exposa au Salon de 1879 une aquarelle (N°4488 du livret), Le doge Foscari, représentant le doge signant la condamnation de son fils. L’oeuvre est conservée au musée des Beaux-Arts de Nice (N° 461 de l’inventaire de 1906, don de M. Fabre).

Notre tableau fut vendu aux enchères le 16 avril 1861 à Drouot, avec 3 autres oeuvres de Richard-Cavaro (numéros 8 à 11), à thèmes italiens: Le soir, scène d’intérieur, Jeune mère et son enfant sur la place Saint-Pierre, Bianca Cappello appuyée sur un balcon. La vente comportait des tableaux anciens (David Teniers, Hobbema, Ruysch…) et modernes (Isabey, Bouhot, Monginot…), dont 52 de l’artiste animalier Joseph-Alphonse Planson