Louis-Gabriel MOREAU

L’hôtel Dervieux, rue Chantereine à Paris

Photo de l'Exposition de la Ville de Paris en 1900
Moreau l'Aîné, l'Hôtel Dervieux et son jardin - Vente Sotheby's 2003
Moreau l'Aîné, l'Hôtel Dervieux et son jardin - Vente Sotheby's 2003
La façade de l'Hôtel Dervieux - Gravure de Guyot d'après Sergent-Marceau

Louis-Gabriel MOREAU, dit l’Aîné (Paris, 1740 – Paris, 1806)
L’hôtel Dervieux, rue Chantereine à Paris
Gouache
26 x 40 cm
Fin du XVIIIème siècle
Provenance : collection Walewski en 1900
Exposition : Paris, Exposition Universelle de 1900, Exposition rétrospective de la Ville de Paris, Pavillon de la ville de Paris, sous le numéro 371 bis, titré La maison de Louis Bonaparte, rue Chantereine


Notre gouache représente un des plus beaux hôtels particuliers du quartier parisien de la Chaussée d’Antin, qui eut pour principaux propriétaires la comédienne et courtisane Mademoiselle Dervieux, puis Louis Bonaparte, le frère de Napoléon.
La fiabilité des dates concernant l’historique de ce bâtiment n’est pas toujours certaine, celles-ci variant parfois selon les sources bibliographiques.
C’est semble-t-il en 1777 que fut terminé, sur des plans de l’architecte Brongniart (1739-1813) datés de 1774, l’hôtel destiné à Anne-Victoire Dervieux (1752-1826), dont le décor intérieur était l’oeuvre de Jean-Démosthène Dugourc (1749-1825). La réalisation de ce véritable petit palais de style néo-classique, situé rue Chantereine, fut financée par quelques-uns des nombreux amants de la courtisane, sachant que c’est l’un d’entre eux, le prince de Soubise, qui lui avait déjà acheté le terrain en 1770.
Défilèrent alors plusieurs « protecteurs » plus ou moins généreux, comme le chevalier de Launay, le maréchal de Richelieu, le duc de Chartres, le marquis de Fitz-James, et surtout le comte d’Artois pendant un court moment vers la fin des années 1780. C’est ce dernier qui missionna son architecte François-Joseph Bélanger (1744-1818), beau-frère de Dugourc avec lequel il avait déjà réalisé Bagatelle, pour réaménager les jardins. Bélanger finit par devenir l’amant de la comédienne, et le couple (qui se maria en 1794) habita l’hôtel jusqu’en 1792, puis la Dervieux le vendit alors au banquier belge Vilain XIIII. Ce dernier céda l’hôtel à la comédienne Mademoiselle Lange (une autre « comédienne-courtisane », devenue épouse du fournisseur aux armées Michel-Jean Simons) en 1798 (ou plus vraisemblablement en 1800, selon Frédéric Masson, biographe de Napoléon).
C’est Napoléon qui racheta le domaine pour 184 000 Francs, le 27 juillet 1802, pour l’offrir à son frère Louis et à Hortense (la fille de Joséphine). Depuis leur mariage 6 mois auparavant, Louis et Hortense habitaient dans la maison (achetée par Napoléon en 1798, et dite hôtel Beauharnais) où Joséphine et Napoléon avaient vécu leurs premières amours ; mais ils avaient besoin d’un logement plus grand et plus prestigieux. Ils le quittèrent cependant en 1804, le jugeant à son tour trop petit, pour s’installer dans un autre hôtel au 17 de la rue Cerutti (actuellement rue Laffitte), où naquit le futur Napoléon III. Toutefois, la Reine Hortense, dans ses mémoires, évoquait le « jardin délicieux » de l’ancien hôtel Dervieux.

La rue Chantereine devint à partir de 1798 la rue de la Victoire, mais retrouva son nom entre 1815 et 1833, avant d’être définitivement nommée rue de la Victoire ; l’hôtel Beauharnais était situé au 6 de la rue Chantereine, l’hôtel Dervieux occupant le numéro 16.
La façade sur cour, donnant sur la rue Chantereine, était ornée de 4 colonnes corinthiennes avec un perron de cinq marches. Le salon, de forme ovale en avancée, possédait trois hautes fenêtres et ouvrait, grâce à un escalier de trois marches, sur le jardin donnant sur la rue Saint-Lazare ; ce salon était flanqué d’un salon de musique et d’un petit salon communiquant avec une chambre à coucher. L’ensemble de la propriété s’étendait sur plus de 6 000 m2 (l’hôtel 313 m2, et le parc 4 650 m2).
Devenu hôtel Thouroux sous le 1er Empire, l’endroit est acquis par le tailleur Jean-Jacques Staub pour 250 000 Frcs en 1820, alors qu’il figure dans la succession de général Loison. Il est ensuite occupé par la légation (l’ambassade) des Etats-Unis dans les années 1830, et sera détruit en 1863, alors qu’il avait été racheté par la ville de Paris, pour faire place au temple consistorial israelite inauguré en 1874, aujourd’hui Grande Synagogue, située 44, rue de la Victoire.

Eu égard à sa célébrité à l’époque, l’iconographie du lieu est relativement peu fournie.
Il semble bien que Moreau l’Aîné en ait produit plusieurs vues, notamment une paire de gouaches passées chez Sotheby’s le 02/12/2003 (lots 36 et 37), attribuées par erreur à Louis Bélanger (1756-1816), le frère de François-Joseph ; la vue très proche de la nôtre s’était vendue plus de 25 000 €.
Vers 1789, Antoine Sergent-Marceau (1751-1847) avait dessiné une vue de la façade de l’hôtel avec le portique, gravée par Guyot.
On connaît également une estampe, qui serait d’après un dessin de François-Joseph Bélanger.
Quant aux frères Goncourt, ils possédaient dans leur collection une gravure de Prieur représentant la « Maison construite rue Chantereine par la citoyenne Dervieux« .
Le musée Carnavalet conserve une photographie (tirage albuminé) de notre gouache, titrée La maison de Louis Bonaparte, rue Chantereine, qui fut présentée à l’Exposition de la ville de Paris en 1900, sans que l’auteur soit mentionné.

Un peu moins célèbre que son jeune frère Jean-Michel, dit Moreau le Jeune (1741-1814), aussi bien à l’époque qu’aujourd’hui, Louis-Gabriel Moreau a fini par être considéré comme un précurseur dans la peinture de paysage, préfigurant les sensibilités romantiques, incarnées par Paul Huet et les aquarellistes anglais, et même impressionnistes. C’est Georges Wildenstein qui en quelque sorte réhabilita un fort intérêt pour l’artiste dans un ouvrage paru en 1923 ; lui-même, ainsi que Veil-Picard et David-Weill, en furent parmi les principaux collectionneurs.
Elève de Demachy, reçu à l’académie de Saint-Luc en 1764, Moreau l’Aîné se spécialise dans les gouaches et aquarelles, qu’il exposera au Salon à partir de 1791, au milieu de quelques tableaux à l’huile. Vues de Paris et de sa campagne, jardins et parcs à l’anglaise, toujours traitées dans une veine poétique avec ciels atmosphériques, souvent agrémentées de minuscules figures schématiques, constituent l’essentiel de ses sujets.