Eugène LE POITTEVIN

Poissons sur un rivage de la Manche

Gros plan sur l'estampe "La vente du poisson"

Eugène Modeste LE POITTEVIN (1806, Paris – 1870, Paris)
Poissons sur un rivage de la Manche
Huile sur panneau
16 x 21 cm
Signé du monogramme et daté en bas à gauche
1854
Cachet de cire rouge de l’atelier de l’artiste au dos
Oeuvre en rapport: estampe titrée La vente du poisson, faisant partie de la suite de quatre gravures Histoire d’un bâteau pêcheur (série exécutée en 1856 et exposée au Salon de Paris de 1857), pour une partie de laquelle notre tableau est une étude peinte
Provenance: peut-être la vente après décès de l’artiste (9/12 avril 1872, hôtel Drouot, salle 8, commissaire-priseur Escribe, experts Francis Petit et Charles Mannheim), numéro 42 du catalogue, titré Au retour de la pêche
Exposition: musée de Fécamp (Les pêcheries), exposition « L’invention d’Etretat, Eugène Le Poittevin et ses amis à l’aube de l’impressionnisme« , 14 juillet – 11 novembre 2020


Autant les poissons étalés sur le rivage sont souvent un élément de décor dans les scènes de retour de pêche de Le Poittevin, autant notre peinture est une des rares natures mortes, en tant que telles, connues de l’artiste, toutes de petit format. Le terme de nature morte étant peut-être ici mal adapté, tant les poissons (maquereau et harengs) semblent « frais », brillants et semblent encore respirer, et tant la composition évoque la vie quotidienne des pêcheurs, ceux-ci venant de déposer sur la grève le fruit de leur pêche, leurs paniers, ainsi qu’un bonnet de fourrure rouge.
Même si ce tableau est parfaitement ancré dans le XIXème siècle, on y décèle l’influence de la peinture hollandaise du XVIIème siècle que Le Poittevin découvre lors d’un séjour aux Pays-Bas.
Un certain nombre d’artistes hollandais se spécialisèrent ainsi dans les natures mortes de poissons: Alexander Adriaenssen et Pieter Van Boucle, même s’ils ne représentèrent pas que des poissons, les accompagnaient souvent de légumes ou autres aliments, posés sur des entablements à l’intérieur de cuisines; Pieter de Putter (1605-1659) peignit lui exclusivement des poissons, mais également dans des intérieurs, ou parfois à l’extérieur mais sur des étals de poissonniers; c’est davantage de Jacob Gillig (1636-1701) que se rapproche notre tableau, puisque ce dernier représentait ses poissons avec le même type d’empilement pyramidal, et avec pour fond un décor naturel de plage ou de rivage.
Notre petite étude très aboutie correspond aux poissons étalés sur le sol, au premier plan vers la gauche de l’estampe La vente du poisson gravée par Alexandre Jazet en 1856; comme l’indique le catalogue de l’exposition de Fécamp « L’invention d’Etretat » , « … Le Poittevin se place ici dans la mouvance de son ami Isabey qui, vers 1822, s’adonnait à de telles études d’après nature, s’enfermant des jours entiers, avec des maquereaux, des morues, des harengs, qu’il imitait à s’y méprendre » .

Le Poittevin (de son véritable nom Poidevin) passa son enfance à Versailles, où son père occupait le poste de « Sous-conservateur du mobilier de la couronne ». Ses talents artistiques lui permirent d’intégrer l’atelier de Louis Hersent vers 1823 puis celui de Xavier Leprince (suite au décès de ce dernier en 1826, Le Poittevin s’y installa et y termina même les dernières oeuvres inachevées de son maître); il est alors notamment soutenu par Alexandre du Sommerard (grand collectionneur et futur créateur du musée de Cluny), qui lui achète plusieurs tableaux. Le Poittevin échoua de peu au Prix de Rome du paysage historique en 1829, ce qui ne l’empêcha pas d’exposer dès 1831 au Salon, et ceci sans discontinuer jusqu’à sa mort.
Même s’il eut une activité d’illustrateur et de caricaturiste (cf ses recueils lithographiques de Diableries et ses dessins érotiques voire pornographiques), l’essentiel de son oeuvre représente des scènes de retour de pêche et des marines sur le littoral normand et en particulier cauchois. Certains critiques de l’époque évoqueront le côté parfois répétitif de ses compositions.
Romantique dans les années 1820 et 1830 (avec des oeuvres proches de celles d’Isabey ou d’Auguste Biard, avec lequel il est ami et collabore parfois), son style devient progressivement plus réaliste par la suite; mais dans notre étude de 1854 et son ciel esquissé orageux et ténébreux digne d’Isabey, Le Poittevin renoue avec le style romantique de ses débuts.
A l’instar de Charles Mozin (un autre élève de Leprince) avec Trouville, il fait partie des premiers artistes à lancer le village d’Etretat comme une station balnéaire mondaine; c’est son ami Eugène Isabey qui lui a fait découvrir l’endroit, et il y acquière rapidement une maison, La Chauferette, où il accueillera notamment Gustave Courbet en 1869.
Il est nommé peintre officiel de la marine en 1849, à la suite de Louis-Ambroise Garneray, de Louis-Philippe Crépin et Théodore Gudin (ces deux derniers nommés en 1830).
Très apprécié de son temps, il reçoit plusieurs récompenses officielles lors des Salons: médaille de 1ère classe en 1836, de 2ème classe en 1831 et 1848, de 3ème classe en 1855. Son atelier parisien se situait au 5, cité Trévise, dans l’actuel 9ème arrondissement.