Julien-Michel GUE

Le repos en Egypte


Julien-Michel GUE (1789, Le Cap – 1843, Paris)
Le repos en Egypte
Huile sur panneau
70 x 52,5 cm
Signé et daté en bas à gauche
1841
Cadre d’origine, cintré en partie supérieure, avec son cartouche « Guey »
Exposition: Salon des Beaux-Arts de Paris de 1841, sous le N°926


Notre peinture s’inscrit dans le mouvement du renouveau de la peinture religieuse, traitée dans une veine orientaliste, qui débute au milieu des années 1830 et continue jusqu’au début des années 1850. Il s’incarne dans des artistes comme Horace Vernet (1789-1863), Frédéric Schopin (1804-1880), ou encore Jean Murat (1807-1863).
Le sujet même du tableau s’y prête, mais l’ambiance égyptienne (palmiers au premier plan comme dans le fond, pyramides, lumière fondue, turban de bédouin pour Joseph) se retrouve dans de nombreux tableaux bibliques de l’époque. Notons toutefois que le palmier au premier plan n’est pas qu’un simple élément pittoresque ou servant à construire la composition: l’évangile apocryphe du pseudo Matthieu nomme également la scène comme le « Miracle du palmier »; le palmier, se courbant miraculeusement grâce à Jésus, permet à Marie de pouvoir saisir les fruits pour s’en nourrir.

La critique d’art, aussi bien que l’Eglise, soulignait, probablement à juste titre, le manque de religiosité de ces oeuvres, un peu trop profanes et aimables, mais qui correspondait à la découverte et l’attrait grandissants de l’Orient à cette époque. Cette orientalisation apporta néanmoins une forme de revivification à la peinture et aux images religieuses (à titre d’exemple, à peine trente tableaux religieux sont exposés au salon de 1831).
On ne peut par ailleurs nier dans ce tableau de Gué une certaine inspiration raphaélienne, que ce soit dans les couleurs des vêtements, dans la composition ou la physionomie « chérubine » de Jésus, ce dernier interpellant le spectateur.

En 1794, suite à l’assassinat de son père Jean-Baptiste (1754-1793) lors d’une révolte d’esclaves noirs, Julien-Michel Gué (surnommé Chéri) doit quitter l’île de Saint-Domingue où il est né, pour revenir à Bordeaux, la ville d’origine de sa famille. Rentré comme apprenti dans une fabrique de tabac, il suit le soir des cours de dessin, et devient l’élève de Pierre Lacour (1745-1814) à l’Ecole des Beaux-Arts de Bordeaux.
On peut dès lors diviser sa carrière en quatre catégories principales:
Les sujets antiques néo-classiques, genre académique qu’il pratique dans les années 1810, suite à son entrée en 1813 dans l’atelier de Jacques-Louis David, avec trois tentatives au grand prix de Rome de peinture, pour lesquelles il échoue à chaque fois à la troisième place (La Mort de Jacob en 1813, Briseis rendue à Achille trouve dans sa tente le corps de Patrocle – conservé depuis 1846 au musée de Bordeaux – en 1815, et Oenone refuse de secourir Pâris au siège de Troie en 1816), et une participation au Salon de 1819 avec un tableau de petit format (35 x 45 cm), Le sacrifice de Jephté (conservé au musée de Niort depuis 1872).
Les vues de paysages, qu’il réalise pour le baron Taylor vers 1820 ou bien expose en nombre au Salon dans les années 1830. Il reçoit d’ailleurs une médaille pour Environs de Paris au Salon de 1827. Les sites représentés se situent essentiellement en région parisienne, Auvergne et régions alpestres (Dauphiné, Italie du nord, Grisons suisses, Tyrol autrichien et sud de l’Allemagne), et de nombreux musées français les conservent. C’est en tant que paysagiste qu’il forme à partir de 1824 son compatriote bordelais Adrien Dauzats (fils d’un machiniste-décorateur du théâtre de Bordeaux, Dauzats se forma d’abord comme décorateur scénique) et lui permettra d’intégrer l’équipe de dessinateurs/voyageurs du baron Taylor vers 1827.
Les décors, essentiellement pour le théâtre, une activité qu’il pratique pendant une quinzaine d’années jusqu’en 1835. Entre 1821 et 1823, il travaille ainsi pour le théâtre du Panorama Dramatique, fondé par Jean-Pierre Alaux, son beau-frère depuis 1812, aux côtés du peintre-décorateur Pierre-Luc Charles Cicéri et de Daguerre, dans un style troubadour très poussé à la limite du caricatural; ensemble ils réalisent par exemple en 1822 les décors d’Ali-Pacha, le mélodrame d’Isidore Taylor. Dans le même temps et par la suite, il est aussi employé par le théâtre de la Gaîté (jusqu’en 1835) et l’Opéra Comique, ou d’autre théâtres royaux.
Il réalise également quelques papiers peints panoramiques pour la manufacture Zuber à Rixheim. Il décore aussi plusieurs bâtiments, comme les plafonds de la salle du trône de l’Hôtel de Ville de Paris, les voussures du musée Dauphin (ancien nom du musée de la Marine jusqu’en 1830, alors situé au Louvre), ou encore des galeries du château de Compiègne.
Durant cette période, il devient très ami avec par exemple Victor Hugo ou Charles Nodier, et reçoit la légion d’honneur en 1834.
La peinture religieuse et d’histoire. Dans la deuxième moitié des années 1830, il réalise quelques grandes compositions illustrant des épisodes de l’Histoire de France, dont une commande de Louis-Philippe pour Versailles. A la toute fin des années 1830, c’est la peinture religieuse et particulièrement biblique qui retient son attention jusqu’à la fin de sa carrière.

C’est à ce dernier registre qu’appartient Le repos en Egypte, qui fut exposé au Salon de 1841 aux côtés de 5 autres oeuvres de Julien-Michel Gué, alors domicilié depuis une dizaine d’années au 40, rue Saint-Lazare à Paris dans le quartier romantique de la Nouvelle Athènes. Le N°928, titré Le jugement dernier, fut à cette occasion acquis par l’Etat pour 2 000 Francs et placé aux hospices de Grasse. Jazet en tira une lithographie, tout comme il l’avait fait pour deux autres tableaux bibliques de Gué qui furent dès 1842 exposés par l’Etat au palais du Luxembourg aux côtés des chefs-d’oeuvres des dernières décennies:
Les murmurateurs engloutis (Salon de 1839), par la suite déposé au Palais des Tuileries
Le dernier soupir du Christ (Salon de 1840), d’un monumental format (1,85 x 2,60 m), à l’ambiance apocalyptique inquiétante et aux tonalités à la fois sombres et vives, probablement inspiré par l’artiste romantique anglais John Martin (1789-1854), conservé depuis 1846 au musée d’Amiens.

Julien-Michel Gué meurt en 1843 alors qu’il travaille sur six tableaux que la reine Marie-Amélie lui a commandé pour la chapelle de Dreux. C’est son neveu (le fils de son frère Pierre, 1779-1842) le peintre Jean-Marie Oscar Gué (1809-1877) qui achève l’un d’entre eux, Jésus devant Caiphe (conservé au musée de Bordeaux).
Une de ses filles, Jenny (1832-1909), se mariera avec son cousin Jean-Paul Gustave Alaux; leur fils Daniel (1853-1933), peintre et professeur de dessin, sera directeur du musée de Bordeaux de 1907 à 1922. Jean-Marie Oscar avait quant à lui dirigé le musée de 1859 à 1877.