Jean-Jacques GRANDVILLE (1803, Nancy – 1847, Vanves)
L’auberge des Adrets: « Eh bien camarades, comment supportez-vous l’existence? »
Plume et encre brune (ferrique?)
22,4 x 33,2 cm
Signé et daté en bas à gauche
Janvier 1834

Sur papier vergé au filigrane DC BLAUW
Porte le chiffre 3 en haut à gauche
Au verso plusieurs études et inscriptions au rayon et à la plume

Ce dessin est préparatoire à la lithographie exécutée par Bénard et publiée par Aubert dans le Charivari N°49 du 18 février 1834.
Il illustre la pièce de théâtre « L’auberge des Adrets », le « drame » en 3 actes écrit par Benjamin Antier, jouée pour la première fois en 1823 au théâtre de l’Ambigu. Rejouée au théâtre de la porte Saint-Martin depuis le 28 janvier 1832, elle faisait encore salle comble à l’époque de notre dessin.
La pièce raconte l’histoire de deux malandrins échappés de prison, Robert Macaire et Bertrand, qui deviendront des personnages emblématiques de la littérature, du théâtre, et plus généralement de la société louis-philipparde. Frédéric Lemaître y joue le rôle de Robert Macaire (comme on le voit par exemple dans le film Les enfants du Paradis).
Quatre mois plus tard, le 14 juin 1834, Frédéric Lemaitre jouera aux Folies Dramatiques, un remake de la pièce spécialement écrit pour lui sous le nouveau titre de « Robert Macaire ».

Au-delà de sa qualité artistique et technique, ce dessin présente un triple intérêt:
– Littéraire: il illustre une des pièces de théâtre les plus populaires et les plus emblématiques de la Restauration et de la Monarchie de Juillet.
– Sociétal: il propose une représentation du « phénomène » social qu’est et que deviendra Robert Macaire sous la Monarchie de Juillet et auquel de nombreux historiens et intellectuels ont consacré des études. Ce personnage de filou sans scrupules, inspirateur de Vautrin chez Balzac, continuera même d’apparaître au début du XXème siècle.
– Politique: il caricature Louis-Philippe (Macaire), son ministre le Comte d’Argout (Bertrand) en les représentant en filous magouilleurs, fourbes, et même criminels, avec à leurs côtés leur bande de complices affairistes et profiteurs. Le comte d’Argout (1782-1857) fut ministre de l’Intérieur à partir du 31 décembre 1832, avant d’être nommé gouverneur de la Banque de France en avril 1834, et ce jusqu’en 1857; il effectua un passage éclair en tant que Ministre des Finances en 1836. Son long appendice nasal lui valut d’être une cible privilégiée des caricaturistes de l’époque, et en particulier de Grandville qui le représenta dans plusieurs de ses dessins.

Caractéristique dans sa facture des plus beaux dessins de Grandville aux traits de plume incisifs et griffant le papier, notre oeuvre représente un Macaire quelque peu inhabituel dans ses détails; il porte sous son bras le  » riflard », plus souvent emblème de son squelettique comparse Bertrand, qui lui s’appuie sur un gourdin et porte sa redingote élimée.
En février 1834, le Charivari, quotidien illustré de 4 pages créé le 1er décembre 1832, emploie 7 journalistes, dont son fondateur Charles Philippon (1800-1862).
En 1837, Philipon et Honoré Daumier lanceront les « Robert Macaire », une des créations les plus puissantes de la satire française, Daumier ayant vraisemblablement été influencé par la représentation de Grandville.