Paul DELAROCHE (1797, Paris – 1856, Paris)
L’assassinat de l’amiral Gaspard de Coligny
Crayon
20,5 x 29 cm
Circa 1829
Ce dessin est un excellent exemple du double intérêt de Delaroche pour le théâtre et la période des guerres de religion.
Delaroche était effectivement très proche du monde du théâtre et des acteurs : il conçut par exemple les décors et les costumes (tout comme ses confrères Eugène Lami et Edouard Bertin) pour les pièces de Casimir Delavigne. Il s’intéressa beaucoup à la transformation en compositions picturales des conventions de la scène théâtrale, allant jusqu’à réaliser lui-même des petits théâtres, comme pour Les Enfants d’Edouard (Salon de 1831, Musée du Louvre).
Il réalisa ainsi des dessins, très proches du nôtre (aussi bien dans la facture que dans la composition, et avec la même présence d’un petit plan rappelant une scène de théâtre), illustrant le dernier des cinq actes du drame romantique d’Alexandre Dumas « Henri III et sa cour ». Ces dessins, appartenant à une collection privée allemande, faisaient partie de l’exposition L’Invention du Passé (Lyon, 19 avril-21 juillet 2014). Ce drame de Dumas précéda le genre du roman de « cape et d’épée », et fut joué pour la première fois, une année avant « Hernani » d’Hugo, en février 1829 au Théâtre Français, avec Mademoiselle Mars dans le rôle de la duchesse de Guise.
On pourrait dans un premier temps penser que notre dessin représente le moment où le duc de Guise et ses hommes entrent dans le salon où se trouve la duchesse de Guise et son amant Saint-Mégrin ; mais dans le texte de Dumas, Saint-Mégrin a disparu avant l’arrivée du duc, alors que la duchesse se trouve encore dans la pièce.
En fait, il semble plutôt que Delaroche se soit inspiré de cette composition théâtrale de l’entrée du duc de Guise chez sa femme pour illustrer un épisode historique réel des guerres de religion, en l’occurrence l’assassinat de Gaspard de Coligny (le chef des protestants) lors de la Saint-Barthélemy, le 24 août 1572. Cet épisode fait partie du roman historique de Mérimée « Chronique du règne de Charles IX », qui paraît en mars 1829, ouvrage auquel a donc eu accès Delaroche très peu de temps après son travail sur « Henri III et sa cour ».
La composition de notre dessin correspond bien à l’événement, tel qu’il est par ailleurs relaté par Agrippa d’Aubigné : à deux heures du matin, un groupe de catholiques commandés par Besme enfonce la porte de la chambre de l’amiral de Coligny, et assassine ce dernier après un court dialogue destiné à s’assurer de son identité; tout apparaît cohérent : la physionomie du personnage à la barbiche (proche de celle de Coligny), le fait qu’il soit en chemise de nuit, l’irruption violente d’un groupe de meurtriers avec à leur tête un homme décidé à tuer, la présence de la fenêtre à gauche, par laquelle le corps de l’amiral sera jeté aux pieds du duc de Guise, un des instigateurs de l’assassinat.
Le thème de la mort de Coligny avait notamment déjà été traité par le brugeois Benoît-Joseph Suvée (1743-1807) dans une toile exposée au Salon de 1787 et aujourd’hui conservée au Musée de Dijon.
Notre étude, non signée selon l’habitude de Delaroche, peut également être mise en rapport, du point de vue de son organisation spatiale, avec L’assassinat du duc de Guise (conservé au château de Chantilly), que Delaroche peindra en 1834, et dont le processus créatif s’étala sur plusieurs années.