Celestin NANTEUIL

Perdition


Celestin NANTEUIL (1813, Rome – 1873, Bourron-Marlotte)
Perdition
Fusain, sanguine et pastel
Traces de mise aux carreaux
40,5 x 26 cm
Signé en bas à droite
Oeuvres en rapport:
– Tableau (huile sur panneau) exposé au Salon de Paris de 1859 sous le N°2243, titré Perdition, pour lequel notre dessin est vraisemblablement préparatoire
– Lithographie exposée au même Salon de 1859 sous le N°3735
– Version peinte réduite (46 x 26 cm) du tableau du Salon, conservée au musée de Dijon


Celui qu’Aristide Marie, dans une biographie parue en 1910, décrit comme « Un imagier romantique » , connut entre 1832 et 1838 une immense notoriété et gloire artistique grâce à ses illustrations, vignettes ou encore programmes aux ornements gothiques et fantastiques, gravés à l’eau-forte; formé par le graveur normand Eustache-Hyacinthe Langlois (un adepte du patrimoine médiéval), puis dans l’atelier d’Ingres à partir de 1829, Nanteuil illustra les ouvrages d’Hugo, Dumas, Gautier, Nerval… et devint une véritable star des cercles et fêtes romantiques.
Une fois la vogue des livres à gravures passée, Nanteuil développa son activité de lithographe (d’après les maîtres anciens ou contemporains, ou encore ses propres compositions), et il exposa ses oeuvres au Salon du début des années 1850 jusqu’à sa mort.
Quant à sa production peinte, même si il exposa quelques tableaux au Salon dans les années 1830 et 1840 (mais qui semblaient n’être faits, selon Aristide Marie, que pour être reproduits en lithographie), elle prit un peu plus d’importance à partir de la fin des années 1850; toutefois elle demeure un aspect sous-estimé et méconnu de la carrière de Nanteuil. Beaucoup de toiles ont été perdues ou sont seulement connues par la gravure. Théophile Gautier soulignait d’ailleurs en 1861 cette méconnaissance de son talent de peintre : « M. Nanteuil a souffert plus que personne de ce préjugé: on n’a pas vu à travers le lithographe le peintre qui est en lui alors qu’il n’en est pas moins coloriste sur toile que sur pierre » .

Notre belle allégorie correspond à cette deuxième partie de carrière de Nanteuil, où l’artiste « s’oriente alors vers une sensibilité plus facile et un art plus aimable qui renoue avec la tradition de la peinture décorative du XVIIIe siècle, privilégiant le registre de la fable et de la mythologie… les deux pendants Séduction et Perdition, tableaux exposés au Salon de 1859, traitent ainsi le thème de la femme séduite, puis abandonnée par l’Amour. Nanteuil multiplia les versions dessinées et gravées de ces oeuvres qualifiées de petits bijoux par Dumas » (extrait de la plaquette publiée par le musée des Beaux-Arts de Dijon à l’occasion de l’ « Hommage à Célestin Nanteuil » en novembre 2013).
Alexandre Dumas écrivait dans « L’art et les artistes contemporains au Salon de 1859 »: « Célestin Nanteuil est un esprit charmant et un coeur d’or… il a trois toiles à l’exposition, Ivresse, Séduction et Perdition. Ivresse est une toute petite toile représentant une bacchanale d’amours longs comme le doigt… Nous sommes étonnés que ce petit bijou n’ait point été acheté pour la loterie. Les deux grands panneaux intitulés Séduction et Perdition représentent un sujet allégorique. Séduction est une jeune fille hésitant un instant avant d’entrer dans le temple de l’Amour… la route est jonchée de fleurs… Mais ce n’est pas le tout que de rentrer dans le temple de l’Amour, il faut en sortir un jour ou l’autre. Dans Perdition, la jeune fille en est sortie. Tout a changé d’aspect; des roches autour d’elle, des épines sous ses pieds, un précipice au lieu d’une route, et, dans ce précipice, la misère qui lui tend de son bras décharné un maigre morceau de pain. L’aspect de la peinture de Nanteuil est agréable à la vue, quoiqu’elle manque un peu de science et de solidité. Cependant les qualités de l’oeuvre sont réelles… Le ministre de la maison de l’Empereur a, nous assure-t-on, acheté l’un de ces deux panneaux. Nous exprimons le désir qu’il s’aperçoive qu’en achetant l’un il a dépareillé l’autre » .
Dumas écrivait aussi la même année dans le « Monte-Cristo » du 26 mai, à propos de ces deux tableaux: « Le dessin n’est pas d’une correction irréprochable, la pensée manque de simplicité, l’expression est entachée d’affectation; néanmoins, malgré ces défauts, ces tableaux prouvent que M. Nanteuil est dans une bonne voie; il a déjà pris rang parmi les gracieux artistes aimés du public; il comptera certainement bientôt parmi les artistes d’élite prisés des vrais connaisseurs » .
Fait assez rare, Nanteuil exposa la même année au Salon, ses peintures (Séduction et Perdition) et leurs versions lithographiées; il en réalisa deux petits ricordos (Perdition est dédicacé à son ami Nadar) aujourd’hui conservés au musée des Beaux-Arts de Dijon.
Nanteuil réalisa également des grandes (1,60 x 1 m) versions au fusain (titrées La tentation et L’abîme) offertes au musée en 1872.
Perdition fut aussi reproduit en gravure sur bois dans Le Monde illustré du 15 octobre 1859.

Depuis le début des années 1840, Nanteuil résidait place Furstenberg à Saint-Germain des Prés; une adresse qu’il ne quittera qu’en 1868, moment où il est nommé directeur du musée de Dijon et de l’école de dessin de la ville.