Bélisario CORENZIO et atelier

Saint Jacques matamore à la bataille de Clavijo


Bélisario CORENZIO (Cyparisse, 1558 – Naples, 1643), et atelier
Saint Jacques matamore à la bataille de Clavijo
Huile sur toile
1,20 x 0,98 m
Début du XVIIème siècle


Ce fougueux et coloré tableau maniériste est l’œuvre d’un artiste de l’école napolitaine, à l’existence particulièrement violente et sulfureuse, notablement influencé par Le Cavalier d’Arpin et Le Tintoret.

Natif de Grèce, Corenzio se rendit vers l’âge de 12 ans à Naples, mais c’est à Venise où il semble avoir reçu sa véritable formation, en passant cinq années dans l’atelier du Tintoret. Au sein de sa considérable production, ses premières œuvres référencées datent de 1590 ; il s’agit de fresques, qui représentent d’ailleurs l’essentiel de son corpus, ornant un grand nombres d’églises napolitaines mais aussi de palais privés. Les retables sont en revanche relativement rares chez Corenzio, tout comme les peintures à l’huile, nettement moins rémunérateurs que les grands ouvrages à fresque aux procédés plus expéditifs.
C’est que notre artiste était extrêmement avide au gain. Au départ appuyé par de riches négociants locaux, mais aussi grâce à son habileté de main et à sa puissance de travail, Corenzio parvint rapidement à une position hégémonique dans le milieu artistique napolitain, mais, jaloux, envieux et sournois, il ne supportait pas la gloire d’autrui et regardait tous les autres peintres comme des ennemis. Il réussit à s’entendre avec Giuseppe Ribera (l’espagnol étant tout comme lui un napolitain d’adoption), alors premier peintre du vice-roi, et avec Giovanni Battista Caracciolo (1578-1635) pour former une sorte de triumvirat mafieux sur la communauté artistique de Naples, exerçant une dictature sans pitié, usant de toutes les bassesses et menaces auprès des peintres qui pouvaient les concurrencer, en particulier avec ceux venant de l’extérieur. Parmi les plus connus qui eurent à souffrir de ces persécutions (dont Corenzio était en fait l’organisateur principal), il y eu d’abord Annibal Carrache en 1609, puis, vers 1630, le Cavalier d’Arpin, Guido Reni, Le Dominiquin et Giovanni Lanfranco, qui repartirent tous en panique de Naples, Le Dominiquin mourant probablement d’un empoisonnement.
Corenzio meurt, selon plusieurs sources, en chutant d’un échafaudage.

Notre œuvre est l’une des rares peintures à l’huile de Corenzio à être parvenues jusqu’à nous. L’historien de l’art Luigi Lanzi écrit d’ailleurs au XVIIIème siècle : « Il peignit très peu à l’huile, quoiqu’il eût beaucoup de mérite quant à l’union et à la force des couleurs. Il fut un bon imitateur du Tintoret lorsqu’il se donna la peine de travailler avec application ; mais il eut plus fréquemment une manière conforme à celle du chevalier d’Arpino… » .
Doué d’une imagination abondante et hardie, peignant rapidement et énergiquement, Corenzio se rapproche effectivement du Tintoret, notamment dans son aisance à composer des scènes assez confuses avec de nombreux personnages, avec des poses sophistiquées et théâtrales, caractéristiques du maniérisme. Mais ses emprunts au répertoire stylistique du maniériste romain, Giuseppe Cesari, dit le Cavalier d’Arpin (1568-1640) sont encore plus frappants, notamment dans notre tableau, avec par exemple la représentation de chevaux aux fortes encolures, croupes généreuses et position ployée des antérieurs (même si Corenzio a sa propre façon de dessiner les yeux et les oreilles), et la présence dans les airs de Saint-Jacques à cheval, tel un Persée venant délivrer Andromède.

Notre tableau pourrait bien être un modello, ou plutôt une réplique de petites dimensions de l’œuvre qui se trouvait au XIXème siècle dans le musée Royal Bourbon au palais des Studi (actuel Musée archéologique national de Naples), ainsi décrite en 1843 dans le guide de la galerie des tableaux : « Saint Jacques de Galice à cheval exterminant les Sarrasins – Tableau de mérite pour la composition bien dessinée et groupée, et pour le coloris vif et gai », une huile sur bois de 12 x 8,5 pieds (soit environ 3,70 x 2,60 m).
Charles Blanc lui donnait un titre légèrement différent (Saint Jacques de Galice mettant en fuite les Sarrasins) et le décrivait ainsi : « Monté sur un cheval blanc, le saint poursuit, l’épée à la main, les cavaliers infidèles ; son manteau flotte derrière ses épaules, son attitude est pleine de fierté et d’enthousiasme. Dans le fond du tableau, qui est peint dans des tons verdâtres, on aperçoit une armée en déroute » .
Une description qui correspond bien à notre composition.

Clavijo est une bataille légendaire qui opposa, le 23 mai 844, les troupes du roi Ramire Ier des Asturies à l’armée maure d’Abd al-Rahman II. La bataille eut lieu à quelques 35 kilomètres à l’est du monastère de San Millán de la Cogolla. La nuit précédente, saint Jacques le Majeur apparaît en songe à Ramire, l’encourage à reprendre les armes le lendemain et l’assure de sa protection. Au cours de ce combat, monté sur un destrier étincelant de blancheur, l’apôtre prête main-forte à ses protégés, qu’il mène à la victoire, et libère du tribut les cent vierges que l’émir percevait chaque année depuis le règne de Mauregat des Asturies.
L’iconographie de cette apparition de l’Apôtre est fréquente, mais se retrouve rarement réalisée par les peintre italiens. Ambrosius Benson dans un triptyque sur le sujet de la bataille nous montre un saint Jacques au sol, foulant des sabots de son cheval les corps aux têtes enturbannées. Cette représentation est la plus classique, elle traverse les siècles et se retrouve pratiquement chez chaque artiste, figurant le saint parmi les mortels. Contrairement à cela, Corenzio développe dans notre toile un autre point de vue, celui de la pure apparition, venant du ciel, isolée des terriens par sa lévitation sur un nuage, prête à plonger sur les maures avec son épée enflammée. Toutes ces particularités semblent être de véritables exceptions dans la représentation de cette bataille, où le divin ne se place pas tant en qu’acteur, mais en appui psychologique.

Nous remercions le professeur Nicola Spinosa pour son éclairage sur l’attribution à Bélisario Corenzio et son atelier.