André DEVAMBEZ

Portrait de femme au bistrot

Au Café, musée du Petit-Palais de Paris
Les Incompris, musée de Quimper

André DEVAMBEZ (1867, Paris – 1944, Paris)
Portrait de femme au bistrot
Huile sur panneau d’acajou
22 x 16 cm
Signée en bas à droite
Vers 1910
Provenance: Galerie de la Scala (68, rue La Boétie, Paris 8ème), puis par descendance
Exposition: André Devambez Vertiges de l’imagination, musée du Petit-Palais de Paris (9 septembre – 31 décembre 2022) et musée des Beaux-Arts de Rennes (5 février – 7 mai 2022)
Bibliographie : Catalogue de l’exposition André Devambez Vertiges de l’imagination, p.149 (CAT.75, titrée La buveuse d’absinthe), reproduit p.158


Fils du célèbre graveur et éditeur Edouard Devambez, le jeune André manifeste très tôt un goût et des qualités pour le dessin.
Elève de Benjamin Constant et Jules Lefebvre à l’Académie Julian, il poursuit son apprentissage aux Beaux-Arts de Paris et remporte le grand Prix de Rome en 1890, mais il a déjà participé à son premier Salon des Artistes Français en 1889. De retour à Paris en 1896 après sa formation romaine, il collabore d’abord à des revues (L’Illustration ou Le Rire par exemples) avec des dessins humoristiques et satiriques, et il illustre aussi des menus, des programmes ou crée des affiches. Mais rapidement il va se faire connaître par ses peintures.
A côté de ses grands tableaux de Salon ou de ses compositions pour des décors, il développe une production intensive de tableautins de genre, souvent remplis de tendresse et d’humour: scènes de plage ou de la vie urbaine fourmillant de petits personnages (quais du métro, meetings aériens, jardins publics, queues d’omnibus, fêtes foraines…), petits portraits de buveurs, philosophes, saynètes avec des artisans, duellistes, spadassins ou autres brigands.
Au moment de sa première exposition particulière en 1913 à la galerie Georges Petit, il a déjà acquis célébrité populaire et reconnaissance publique (légion d’honneur en 1911, participation régulière au Salon). Il est particulièrement apprécié pour ses points de vue plongeants et ses effets de foule.
La guerre, où il est grièvement blessé, lui inspire des tableaux sur ce thème, mais n’interrompra pas son succès d’artiste inclassable, aux multiples registres d’expression.
Un article du Larousse mensuel illustré de 1930 qui lui est consacré parle du « réalisme de ses figures, aux antipodes de l’académisme conventionnel… exécution irréprochable et précieuse…héritier des belles traditions des maîtres hollandais et flamands… » , et le décrit comme le plus original des successeurs de Manet et Degas.

Notre tableau à la forte présence appartient à la série de ce que Devambez appelait ses Incompris (en référence à son tableau du Salon de 1904, Les Incompris, aujourd’hui conservé au musée de Quimper) et qu’il affectionnait particulièrement: des types de buveurs, poètes ou artistes noyant leur désarroi ou cherchant l’inspiration dans l’alcool, philosophes perdus… solitaires ou en groupe, inspirés par le peuple des bistrots, dans lesquelles la consommation d’alcool, et en particulier d’absinthe, était alors très forte. L’historien d’art Gustave Soulier écrit à ce propos : « C’est comme une sorte de nouveau Daumier que nous retrouvons chez M. Devambez » .
Entre humour et tragique, ces types sont souvent affublés de chapeaux grotesques, trop grands, trop petits, cabossés, ou de forme incroyable comme celui de notre buveuse. Celle-ci présente un visage marqué, au vieillissement précoce possiblement dû à l’abus d’alcool et de tabac. Qu’elle soit une simple femme émancipée (il existe un tableau de Devambez titré La féministe, serait-ce le nôtre ?) fumant sa cigarette et buvant son verre seule, ou une vieille prostituée à la tenue assagie espérant pouvoir encore attirer un hypothétique client, le café semble pour elle un lieu d’asile plus qu’un lieu d’échanges et de débats. La solitude du modèle est encore accentuée par un décor réduit au minimum, celui de la banquette rouge.
Notre oeuvre, par son sujet et sa construction, peut être rapprochée du tableau (27 x 21 cm) conservé au musée du Petit-Palais de Paris, titré Au Café, et représentant un buveur d’absinthe à la cigarette, sensé être le chansonnier Marcel Legay, ou bien, comme nous l’indique Fabienne Fiacre, le père de l’artiste. On peut aussi l’associer à une autre Buveuse d’absinthe (huile sur toile, 34×26 cm, collection particulière, CAT.76 de l’exposition Devambez de 2022), peinte dans le même décor mais prise de trois-quarts.
Selon les commissaires de l’exposition André Devambez Vertiges de l’imagination, notre portrait avait été commandé par Georges Weil (le co-directeur de la maison d’édition Devambez depuis 1893, et qui la reprendra après la 1ère guerre mondiale) et peint en février-mars 1913 : le modèle serait Ernestine Duhille. Les mêmes commissaires soulignent à juste titre l’influence de Degas.